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ve NOUVELLE

les en vouldroit charger. Le Juge accorda sa requeste & luy donna les prisonniers, qui furent si bien chapitrez du Gardien, qui estoit homme de bien, que oncques puis ne passerent rivière sans faire le signe de la croix & se recommander à Dieu.

« Je vous prie, mes Dames, pensez, si ceste pauvre Basteliére a eu l’esprit de tromper deux si malitieux hommes que doivent faire celles qui ont tant leu & veu de beaux exemples, quand il n’y auroit que la bonté des vertueuses dames qui ont passé devant leurs oeilz, en sorte que la vertu des femmes bien nourryes se doit autant appeler coustume que vertu. Mais de celles qui ne sçavent rien, qui n’oyent quasi en tout l’an deux bons sermons, qui n’ont le loisir que de penser à gaingner leur pauvre vie & qui, si fort pressées, gardent soingneusement leur chasteté, c’est là où l’on congnoist la vertu qui est naïfvement dans le cueur, car où le sens & la force de l’homme est estimée moindre, c’est où l’esperit de Dieu faict de plus grandes oeuvres. Et bien malheureuse est la Dame qui ne garde bien soingneusement le trésor qui lui apporte tant d’honneur, estant bien gardé, & tant de deshonneur au contraire. »

Longarine luy dist :

« Il me semble, Geburon, que ce n’est pas grand vertu de refuser un Cordelier, mais que plus tost seroit chose impossible de les aymer.

— Longarine, » luy respondit Geburon, « celles qui n’ont poinct accoustumé d’avoir de tels serviteurs