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VIIJe NOUVELLE

constance de la chercher en tous les lieux où l’on peut la trouver ?

— Pour ce que l’homme ne peult sçavoir, » dist Dagoucin, « où est ceste moictyé dont l’unyon est si esgale que l’un ne diffère de l’autre, il fault qu’il s’arreste où l’amour le contrainct, & que, pour quelque occasion qu’il puisse advenir, ne change le cueur ne la volunté, car, si celle que vous aymez est tellement semblable à vous & d’une mesme volunté, ce sera vous que vous aymerez & non pas elle.

— Dagoucin, » dist Hircan, « vous voulez tomber en une faulse opinion, comme si nous devions aymer les femmes sans estre aymés.

— Hircan, » dist Dagoucin, « je veulx dire que, si nostre amour est fondé sur la beaulté, bonne grace, amour & faveur d’une femme, & nostre fin soit plaisir, honneur ou proffict, l’amour ne peult longuement durer ; car, si la chose sur quoy nous la fondons deffault, nostre amour s’envolle hors de nous. Mais je suis ferme à mon oppinion que celluy qui ayme, n’ayant aultre fin ne desir que bien aymer, laissera plus tost son ame par la mort que ceste forte amour saille de son cueur.

— Par ma foy, » dist Simontault, « je ne croys pas que jamais vous ayez esté amoureux ; car, si vous aviez senty le feu comme les aultres, vous ne nous paindriez icy la Chose Publicque de Platon, qui s’escript & ne s’expérimente poinct.

— Si, j’ay aymé, » dist Dagoucin, « j’ayme encores, & aymeray tant que je vivray ; mais j’ay si grand paour que la démonstration face tort à la perfection de mon amour que je crainctz que celle de qui je debvrois