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Ire JOURNÉE

avoit elle desjà bien entendu qu’il n’y avoit homme en l’Espaigne mieulx disant ce qu’il vouloit & de meilleure grace, &, voyant qu’il ne luy tenoit nul propos, commença à luy dire : « La renommée que vous avez, Seigneur Amadour, par toutes les Espaignes, est telle qu’elle vous rend congneu en toute ceste compaignie & donne desir à ceulx qui vous congnoissent de s’employer à vous faire plaisir, par quoy, si en quelque endroict je vous en puis faire, vous me y pouvez emploier. » Amadour, qui regardoit la beaulté de sa Dame, estoit si très ravy que à peyne luy peut il dire grand mercy, &, combien que Floride s’estonnast de le veoir sans response, si est ce qu’elle l’attribua plustost à quelque sottise que à la force d’amour & passa oultre sans parler davantaige.

Amadour, cognoissant la vertu qui en si grande jeunesse commençoit à se monstrer en Floride, dist à celle qu’il vouloit espouser : « Ne vous esmerveillez poinct si j’ay perdu la parolle devant Madame Floride, car les vertus & la saige parolle qui sont cachez sous ceste grande jeunesse m’ont tellement estonné que je ne luy ay sçeu que dire. Mais je vous prie, Avanturade, comme celle qui sçavez ses secrets, me dire s’il est possible que en ceste Court elle n’ayt tous les cueurs des Gentils hommes, car ceulx qui la congnoistront & ne l’aymeront sont pierres ou bestes. » Avanturade,