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Ire JOURNÉE

non plus que d’une femme, &, combien que à l’heure il n’eust que vingt deux ans, si estoit si saige que la Comtesse d’Arande luy communicquoyt toutes ses affaires & commandoit à son fils de l’entretenir & croire ce qu’il leur conseilleroit. Ayant gaingné ce poinct là de ceste grande estime, se conduisoit si saigement & froidement que mesmes celle qu’il aymoit ne congnoissoit poinct son affection, mais, pour l’amour de sa femme qu’elle aymoit plus que nulle autre, elle estoit si privée de luy qu’elle ne luy dissimuloit chose qu’elle pensast, & eut cest heur qu’elle luy déclaira toute l’amour qu’elle portoit au filz de l’Infant Fortuné. Et luy, qui ne taschoit que à la gaingnier entièrement, luy en parloyt incessamment, car il ne luy challoyt quel propos il luy tint, mais qu’il eut moien de l’entretenir longuement. Il ne demora poinct ung mois en la compaignye après ses nopces qu’il fust contrainct de retourner à la guerre, où il demoura plus de deux ans sans revenir veoir sa femme, laquelle se tenoyt tousjours où elle avoit esté nourrie.

Durant ce temps, luy escripvoit souvent Amadour, mais le plus de la lettre estoit des recommandations à Floride, qui de son costé ne failloit à luy en rendre & mectoyt quelque bon mot de sa main en la lettre qu’Avanturade escripvoit, qui estoit l’occasion de rendre son mary très soigneux