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Ire JOURNÉE

ceste parole qu’elle estimoit qu’il prenoit plaisir à parler à Poline, dont il fut si desespéré qu’il ne se peut tenir de luy dire en collère : « Ha, ma Dame, c’est bien tost commencé de tormenter ung serviteur & le lapider de bonne heure, car je ne pense poinct avoir porté peine qui m’ait esté plus ennuyeuse que la contraincte de parler à celle que je n’ayme poinct. Et, puis que ce que je faictz pour vostre service est prins de vous en aultre part, je ne parleray jamais à elle & en advienne ce qu’il en pourra advenir, &, à fin de dissimuller mon courroux comme j’ay faict mon contentement, je m’en voys en quelque lieu icy auprès, en actendant que vostre fantaisie soit passée, mais j’espère que là j’auray quelques nouvelles de mon Cappitaine de retourner à la guerre, où je demoreray si long temps que vous congnoistrez que aultre chose que vous ne me tient en ce lieu. » Et en ce disant, sans actendre aultre response d’elle, partit incontinant.

Floride demora tant ennuyée & triste qu’il n’estoit possible de plus, & commença l’Amour, poulsé de son contraire, à monstrer sa très grande force, tellement que elle, congnoissant son tort, escripvoit incessamment à Amadour, le priant de vouloir retourner, ce qu’il feit après quelques jours que sa grande collère luy estoit diminuée.

Je ne sçaurois entreprendre de vous compter