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Ire JOURNÉE

mortz en vous. Mais, si ainsi est que vous le dictes, je loue la bonté divine, qui a prévenu le malheur où maintenant je m’alloys précipiter, en me monstrant par vostre parole le cueur que j’ay tant ignoré ; car, ayant perdu le fils de l’Infant Fortuné, non seulement pour estre marié ailleurs, mais pour ce que je sçay qu’il en aime une aultre, & me voyant mariée à celuy que je ne puis, quelque peine que je y mette, aymer & avoir agréable, j’avois pensé & délibéré de entièrement & du tout mettre mon cueur & mon affection à vous aymer, fondant ceste amitié sur la vertu que j’ay tant congneue en vous, & en laquelle, par vostre moyen, je pense avoir attaincte, c’est d’aimer plus mon honneur & ma conscience que ma propre vie. Sur ceste pierre d’honnesteté, j’estois venue icy, delibérée de y prendre ung très seur fondement ; mais, Amadour, en un moment vous m’avez monstré qu’en lieu d’une pierre necte & pure, le fondement de cest édifice seroit sur sablon légier ou sur la fange infame, &, combien que desjà j’avois commencé grande partie du logis où j’espèrois faire perpétuelle demeure, vous l’avez soubdain du tout ruyné. Par quoy il fault que vous vous déportiez de l’espérance que avez jamais eue en moy, & vous délibériez, en quelque lieu que je sois, ne me chercher ne par parole ne par contenance, ny espérer que je puisse ou vueille jamais changer ceste