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Ire JOURNÉE

cueur, me vouloir escouter avant que me tourmenter. »

Et, quand elle veid qu’il luy prestoit l’oreille, poursuivit son propos, disant :

« Hélas, Amadour, quelle occasion vous meut de chercher une chose dont vous ne povez avoir contentement, & me donner ennuy le plus grand que je sçaurois recevoir ? Vous avez tant expérimenté ma volunté du temps de ma jeunesse & de ma plus grande beaulté, sur quoy vostre passion pouvoit prendre excuse, que je m’esbahis que l’aage & grande laydeur où je suis, oultrée d’extrême ennuy, vous cherchez ce que vous sçavez ne povoir trouver. Je suis seure que vous ne doubtez poinct que ma volunté ne soit telle qu’elle a accoutumé, par quoy ne povez avoir par force ce que demandez. Et, si vous regardez comme mon visaige est accoustré, en oubliant la mémoire du bien que vous y avez veu, vous n’aurez poinct d’envie d’en approcher de plus près, &, s’il y a encores en vous quelques relicques de l’amour passé, il est impossible que la pitié ne vaincque vostre fureur, & à icelle pitié, que j’ay tant expérimenté en vous, je fais ma plaincte & demande grace, à fin que vous me laissiez vivre en paix & en l’honnesteté que, selon vostre conseil, j’ay delibéré garder. Et, si l’amour que vous m’avez portée est convertie en haine & que, plus par