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Xe NOUVELLE

desfaicte tant enraigé & furieux qu’il rompit toute la presse & feit prendre les deux corps qui estoient mortz & porter au camp du Prince, lequel en eut autant de regret que de ses propres frères. Mais, en visitant leurs playes, se trouva le Comte d’Arande encores vivant, lequel fut envoyé en une lictière en sa maison, où il fut longuement malade. De l’autre costé, renvoya à Cardonne le corps du mort.

Amadour, ayant faict son effort de retirer ces deux corps, pensa si peu pour luy qu’il se trouva environné d’un grand nombre de Maures &, luy qui ne vouloit non plus estre prins qu’il n’avoit sçeu prendre s’amie, ne faulser sa foy envers Dieu qu’il avoit faulsée envers elle, sçachant que, s’il estoit mené au Roy de Grenade, il mourroit cruellement ou renonceroit la Chrestienté, délibéra ne donner la gloire ne de sa mort ne sa prinse à ses ennemis &, en baisant la croix de son espée, rendant corps & ame à Dieu, s’en donna un tel coup qu’il ne luy en fallut poinct de secours.

Ainsy morut le pauvre Amadour, autant regretté que ses vertuz le méritoient. Les nouvelles en coururent par toute l’Espaigne, tant que Floride, laquelle estoit à Barselonne où son mary avoit autresfois ordonné estre enterré, en oyt le bruict, &, après qu’elle eut fait ses obsèques honorablement, sans en parler à mère ny à belle-mère,