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Ire JOURNÉE

s’en alla Religieuse au Monastère de Jésus, prenant pour mary & amy celuy qui l’avoit délivrée d’une amour si véhémente que celle d’Amadour & de l’ennuy si grand que de la compaignie d’un tel mary. Ainsi tourna toutes ses affections à aymer Dieu si parfaictement, qu’après avoir vescu longuement Religieuse, luy rendit son ame en telle joye que l’espouse a d’aller veoir son espoux.

« Je sçay bien, mes Dames, que ceste longue Nouvelle pourra estre à aucunes fascheuse, mais, si j’eusse voulu satisfaire à celuy qui la m’a comptée, elle eust esté trop plus que longue, vous suppliant, en prenant exemple de la vertu de Floride, diminuer un peu de sa cruaulté & ne croire poinct tant de bien aux hommes qu’il ne faille, par la congnoissance du contraire, leur donner cruelle mort & à vous une triste vie. »

Et, après que Parlamente eut eu bonne & longue audience, elle dist à Hircan : « Vous semble il pas que ceste femme ait esté pressée jusques au bout & qu’elle ait vertueusement resisté ?

— Non, » dist Hircan, « car une femme ne peut faire moindre résistance que de crier, mais, si elle eust esté en lieu où on ne l’eust pu oyr, je ne sçay qu’elle eust faict, &, si Amadour eust esté plus amoureux que crainctif, il n’eust pas laissé pour si peu son entreprinse &, pour cest exemple icy, je ne me departiray de la forte opinion que j’ay que oncques homme qui aimast parfaictement, ou qui fût aimé d’une dame, ne faillit