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ORAISON FUNÈBRE

foy au dire de Plutarche, appellant noblesse les anciennes richesses & ancienne gloire, qui vouldra & pourra nier Marguerite avoir esté ornée de la noblesse du sang ? Je dy de noblesse doublement illustrée, du costé de Loyse, sa Mère.

Ô Seigneur Dieu, si un tas de glorieux & superbes Nobles du jourd’huy pouvoient nombrer ainsi par ordre les rengs & lignes de leurs Ancestres, par quel moyen pourroit estre leur impudente violence arrestée & abbatue ? Qui dureroit devant euls ? Ils sont peut estre descendus de Porchiers, de Cousturiers, de Chaussetiers ou d’aultres gents méchaniques, & encor de plus vile & plus abjecte condition, & sont les premiers du Nom, je dy les premiers Nobles de leur race. Nobles, dy je, à bon & loyal tiltre, Dieu le sçait ; ce néantmoins ils hont le cœur si orgueilleus & si enflé, & sont tant coustumiers de mespriser toutes personnes qu’ils cuident qu’il n’y ait hommes qu’euls. Mais ceuls qui sont illustres d’ancienne noblesse, extérieurement, je dy à leurs mœurs & façon de faire, monstrent assés leur noblesse, car ils hont en euls je ne sçay quoy d’une bonté naifve, qui les sépare manifestement de la férocité des fauls nobles. Et comme, si tu dores un vaisseau de cuivre, pour un certain temps il haura bien la couleur de l’or, mais à la longue la dorure se consume & efface, en sorte que le cuivre demeure & apparoit nud ; ou, si ce vaisseau est de pur or, plus l’accommoderas à ton usage & service, plus il reluira, & plus beau & plus fin apparoistra l’or. Ainsi, tous ceuls qui faulsement se ventent du tiltre de Noblesse, quoy qu’il tarde, découvrent à la fin par leurs mœurs & conditions leur villennie & lâcheté à ceuls avec lesquels ils conversent ; mais les vrays Nobles monstrent, à la fréquentation extérieure, l’intérieure noblesse