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ORAISON FUNÈBRE

pre & la force & vigueur du corps, & la vivacité de l’esprit. L’on doit pareillement prendre bonne garde que les Perles ne trempent aulcunement en vinaigre, car bien tost se résouldroient en liqueur ; nostre Marguerite n’a esté instruicte d’aspres, durs & rustiques mœurs, ains de pudiques & humains, sévères toutefois & vraiement Royaulx, & tels qu’ils devoient tesmoigner que la nourriture respondroit à l’attente de sa grande noblesse. Et, pour faire apertement congnoistre ce que je vous dy estre véritable, nous dirons quelque chose de sa nourriture & institution.

Je croy, ô Alençonneis, que vous avés lu en Xénophon, ou bien entendu par d’aultres, les Perses avoir jadis esté fort religieus à instituer leurs enfants, je dy si tétriques & sévères que, quand nous desirons aulcuns précepteurs pour la réformation des mœurs de la jeunesse, nous prenons nostre recours aux préceptes des Perses. Or avoient ils acoustumé les enseigner, jusques a l’aige de dix-sept ans, tempérance, continence, justice & toutes les aultres vertus, affin qu’avec la mammelle ils sugseassent aussi bonne discipline & saine institution qui les rendist dès le commencement tels que, parvenus à l’aige d’adolescence, n’eussent aulcun désir de meschanceté & de villennie. Je vouldrois certes, ô Alençonnois, ceste louable coustume des Perses estre tant aujourd’huy religieuse & sacrosancte aux Pères, Mères & aultres, qu’en suivant leurs Lois & façon de vivre, ils n’instituassent point leurs enfants de l’instruction, que nous veoions & sentons, au trèsgrand regret & dommage tant de nous que de la République, estre trèscorrompue, trèspernicieuse & trèsdétestable. Si ainsi le faisoient, des maulvais & dépravés esprits ils en feroient de bons, & ceuls qui de leur naturelle inclination sont bons, ils rendroient meilleurs. Car, si l’éducation, comme Pla-