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DE MARGUERITE DE NAVARRE

donnée à superfluités & vains boubans, ne corrompue de parolles oisifves & deshonnestes, qui est, de nostre temps, l’institution presque de tous les grands Seigneurs, mais prudemment l’occupa à tous louables & vertueus exercices, dignes du nom & tiltre de Princesse & d’une future Royne. Aussi luy furent baillés des domestiques Précepteurs, hommes bien expérimentés en maintes bonnes choses, prudents & excellents en toutes manières de Science &, pour dire en somme, tels que les Philosophes requièrent trouver aux Courts des Princes & aux Maisons des Seigneurs au lieu d’un tas de flatteurs, de fols & de gens du tout inutiles.

Ces sages personnes proposoient à Marguerite certains bons exemples, tantost des Lettres prophanes, tantost des Sainctes Escriptures, pour les luy faire suivir. Une aultrefois luy récitoient aulcuns préceptes de vertu, qui enseignent à bien & heureusement vivre, pour de plus en plus l’enflamer & exercer à toutes choses vertueuses. Et, pource que par longue & certaine expérience nous avons aprins la sentence de Platon estre vraie que lors les Républiques seront heureuses quand, ou les Philosophes y régneront, ou que les Roys & les Princes y philosopheront, ses Précepteurs luy tenoient tousjours quelque salutaire propos de Philosophie à celle fin que, quand elle entendroit qu’on doit fuir une telle chose & suivre l’aultre, elle imprimast en son esprit qu’ainsi le failloit faire, puis que tel estoit l’advis des Philosophes.

Il me semble, ô Alençonnois, qu’en tenant ces propos j’en veoy d’aulcuns, non des hommes, mais des bestes, qui se mocquent que Marguerite ait heu des Précepteurs qui l’aient instruicte des préceptions philosophiques, comme si Philosophie n’avoit rien commun avec le régime & gouvernement d’un Royaume. Certes, je ne puis nier que, comme