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ORAISON FUNÈBRE

Philosophe Evangélique, qui est la Parolle de Dieu, des saints & salutaires préceptes de laquelle Marguerite fut par ses instituteurs si bien endoctrinée & instruicte qu’encor n’estoit venue à l’aige de quinze ans quand l’Esprit de Dieu, qui avoit saisy tout son esprit, commencea se manifester & apparoistre en ses œils, en sa face, en son marcher, en sa parolle & générallement en toutes ses actions.

Et, comme ceuls quelle avoit attirés à son admiration semoient par tout & à tous les rares vertus d’elle, tantost fut la renommée espandue jusques à Charles, aujourd’huy Empereur & lors Roy des Espaignes, qu’en la Court du Roy de France estoit une jeune fille, Princesse, excellente en beaulté & resplendissante de vertus comme d’une clarté estincellante par ses raïons. Charles, esmeu de ce bruit, commençea se sentir frappé de l’amour de la vierge, qu’il n’avoit onc veue, dont il envoia en France ses Ambassadeurs la demander pour luy en mariage. Mais ce ne fut le plaisir de Dieu, gouvernant les cœurs des Parents de Marguerite, que France perdist sa tant précieuse Perle, ains fut espousée à celuy auquel elle estoit par divin arrest destinée.

Ce fut, ô Alençonnois, à vostre duc Charles, le trèsmodeste, trèsprudent & trèsliberal Prince entre tous les Princes qui oncques furent soubs le soleil. Je dy Charles, frère de Françoise, trèsillustre Duchesse de Beaumont, Douairière de Longueville & de Vendosmois, qui sçait si noblement tenir son reng entre les Princesses que ses vertus souveraines avoient donné à nostre France grande occasion de se complaindre de Nature de quoy ne l’avoit faicte homme ; mais elle luy a osté toute matière de plaincte quand a esté si favorable aux François que de Françoise d’Alençon, comme du cheval du Troye, ont esté procréés tant de très-