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ORAISON FUNÈBRE

trémité, qui est une legiéreté, & s’arrester au millieu ; car, s’il ne conjoinct une gravité tempérée avec l’humilité & doulceur, certes il se rend contemptible à ses subgets & fait deshonneur au tiltre qu’il porte. Marguerite n’estoit donc orgueilleuse, superbe, fière & arrogante, mais aussi n’estoit elle légière, pusillanime & indiscrètement privée, en sorte, qu’en estant studieuse de la vertu d’humilité, elle gardoit trèsbien sa place & son ordre entre les Roys & les Princes. Car à son visage, à ses gestes, à son marcher, à sa parolle, en tout ce qu’elle faisoit & disoit, une gravité Royalle se rendoit si manifeste & apparente qu’on y veoioit je ne sçay quoy de majesté qui contraignoit un chascun la révérer & craindre.

En la veoiant humainement recepvoir tout le monde, ne refuser personne & patientement escouter chascun, tu te fusses promis un facile & aisé accès à elle ; mais, si elle getteoit sa veue sur toy, il y avoit en sa face je ne sçay quoy de Divinité qui t’eust rendu si estonné que tu n’eusses plus heu puissance, je ne dy de marcher un pas, mais seulement d’esbranler un pied pour aller à elle. Que si elle sçavoit quelcun avoir abusé de sa bonté & clémence, & avoir commis un acte inexcusable, certes lors ceste gravité sortoit, mais c’estoit avec une telle mâle majesté que celuy qui avoit offensé eust déjà voulu estre cent pieds soubs terre. Or ne parloit elle à luy en courrons, & ne l’assailloit d’injures, qui sont deux signes de rage, mesmes en un Prince, mais elle le tenceoit asprement, & toutefois, après qu’il luy sembleoit estre assés, elle mesloit du miel avec cest aloès, doulcement parloit à luy, en luy remonstrant son offense, & l’admonnestoit familièrement de ne faire plus tel acte, en quoy elle donnoit exemple d’un bon, sage & prudent Prince. Mais, quand elle veoioit que la punition estoit