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DE MARGUERITE DE NAVARRE

nécessaire, selon l’exigence du cas elle vouloit trèsbien le délinquant estre puny, mais non toutefois si griesvement qu’à la punition l’équité ne fust préférée à la rigœur. Car c’est le propre du Prince, s’il ne veult estre Tiran, quand il convient punir les faultes des hommes, par une équité adoulcir la loy, qui est par trop rigoreuse & austère.

Je suis, certes, d’advis qu’on peut tenir l’opinion des Stoïques quand ils disent qu’on ne doibt pardonner aux forfaicteurs, car, puisque personne ne pèche que de malice, pardonner à celuy qui aura péché est autant comme confesser qu’il n’a péché par sa faulte ; mais, en ce qu’ils nient le bon & juste Prince & tout aultre Magistrat devoir estre douls & enclin à miséricorde, pource qu’il semble par cela vouloir juger que le législateur a ordonné des peines iniques & que, contre la loy, il estime les peines statuées par les lois pouvoir estre diminuées, en cela, dy je, je crois leur sentence estre inique & qu’on ne la doibt jamais mettre aux aureilles des Princes, affin que de Princes ils ne deviennent Nérons, Phalares & Tirans. Car, puisque nous devons toujours penser que, comme Sopatre dit en Stobée, le péché est nay avec nous & que nostre Saincte Escripture ne nous en dit pas moins, certes, quiconques punira les hommes comme non subgets au vice & péché & comme inpeccables, il exceddera les bornes & limites de juste & naturelle castigation.

Marguerite n’estoit ignorante de tout cecy, & pource elle gardoit tel tempérament aux punitions que les délicts ne tumbeoient en insolence & liberté par licence, impunité & indulgence, mais toutefois ils n’estoient punis selon gravité d’iceuls. Que si le crime estoit si atroce que par iceluy il apparust la malice du délinquant estre invétérée