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ORAISON FUNÈBRE

nourrie, n’a ses actions libres aux vertus & aux honnestes affections, & pource ne luy vouloit fermer le passage à sa franchise & liberté.

N’estimés toutefois qu’elle ait tousjours si estroictement fuy toutes sortes de voluptés que, selon les lieus, le temps, les personnes, les occasions, elle n’ayt usé de celles que les Philosophes mesmes appellent honnestes & libéralles, & pource les permettent. Car elle avoit ouy dire qu’Aristippe disoit celuy se servir bien d’un cheval ou d’une navire, non qui du tout n’en use, mais qui les sçait mener, tourner & conduire là où bon luy semble ; ainsi, que ceuls sont modérateurs des voluptés, non qui du tout les fuient & s’en abstiennent, mais qui sçavent si bien & sagement en user qu’ils ne se laissent perdre & emmener avec elles.

Quant est des propos qu’elle tenoit à ceuls qui assistoient à son boire & menger, certes elle n’ignoroit les Médecins ordonner que, quand nous délibérons mettre à table, nostre esprit doibt estre libre & despouillé de tout ennuy & sollicitude, & que nos viandes ne doivent moins estre confites de propos joyeus & récréatifs que de sel, ou d’aultre saulse provocante l’appétit. Mais elle n’appelloit propos récréatifs, ce qu’aujourd’huy font la plus grand part des Nobles, un tas de folles, vaines & inutiles parolles, qui n’édifient en aulcune manière & ne sont seulement superflues, mais aussi le plus souvent peu pudiques & deshonnestes.

Les Perses ne permettent à personne de proférer ce qui de soy n’est honneste & licite à faire & estiment estre une grande vilennie de tenir propos de choses villaines. Puis qu’ils désirent ceste reigle & loy estre gardée de toute sorte de gents, je croy qu’ils n’en exempteront les