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ORAISON FUNÈBRE

& une sœur, appelée Thémistoclée ; si les femmes devenoient folles & enragées de l’estude de Philosophie comme les tygres de la musique, ce qu’aulcuns ont trop témérairement dit, certes ce grand Philosophe ne les eust instituées & endoctrinées en Philosophie. Socrate, qui fut jugé par l’oracle d’Apollon estre tant sage, n’heut point de honte d’appeler Diotime sa maistresse & assister aux leçons d’Aspasie, qui toutefois estoit un homme si diligent & sévère à réformer les mœurs des femmes que jamais ne les eust permises faire profession de Philosophie si le sexe féminin deshonoreoit la dignité & majesté philosophalle.

Pourquoy ne méritera Marguerite mesme louenge, qui a esté souverainement perfecte en Poésie, docte en Philosophie, consummée en l’Escripture Saincte, voire jusques à en rendre les plus sçavants fort émerveillés, en sorte que :

Ne Praxille, jadis femme si trèssçavante,
Ne Nosse, qui fut tant doctement escrivante,
Ne Agacle & Anite, & le gentil esprit
D’Erinne, qui couchea trois cents vers par escript,
Ne Myrte, & Télésille au virile courage,
Ne Corinne, poëte éloquente & tressage,
Qui si bien le boucler de Pallas blasonna
Qu’un immortel renom sa plume luy donna,
Œuvre ne feirent onc tant docte qui mérite
Le comparer à ceuls de nostre Marguerite.

Or il ne fault prester l’aureille a ceuls qui nous vouldroient objicer les temps n’estre semblables, que jadis il fut permis aux femmes ethniques & qu’encor aujourd’huy pourroit estre permis aux nostres d’appliquer leur esprit aux sciences profanes, comme histoires, poësies, & préceptes de vertu, mais qu’il les fault chasser de la lecture des