Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome II.djvu/121

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
107
XVIIJe NOUVELLE

j’ay telle compassion de vous deux que je suis délibérée de vous donner lieu & loisir de parler ensemble longuement à voz aises. » La Damoiselle fut si transportée qu’elle ne luy sçeut faindre son affection, mais luy dist qu’elle n’y vouloit faillir.

Obéissant donc à son conseil & par son commandement se despouilla, & se meit en ung beau lict, toute seule en une chambre dont la Dame laissa la porte entre ouverte, & alluma de la clairté dedans, pour quoy la beaulté de ceste fille pouvoit estre veue clairement. Et, en faingnant de s’en aller, se cacha si bien auprès du lict qu’on ne la pouvoit veoir.

Son pauvre serviteur, la cuidant trouver comme elle luy avoit promis, ne faillit à l’heure ordonnée d’entrer en la chambre le plus doulcement qu’il luy fut possible &, après qu’il eut fermé l’huys & osté sa robbe & ses brodequins fourrez, s’en alla mettre au lict où il pensoit trouver ce qu’il desiroit, & ne sçeut si tost advancer ses bras, pour embrasser celle qu’il cuidoit estre sa Dame, que la pauvre fille, qui le cuidoit tout à elle, n’eust les siens à l’entour de son col, en luy disant tant de paroles affectionnées & d’un si beau visaige qu’il n’est si sainct Hermite qui n’y eust perdu ses patenostres.

Mais, quand il la recongneut tant à la veue qu’à