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XIXe NOUVELLE

Ce serviteur Religieux fut tant aise & tant content d’ouyr sa saincte volunté qu’en plorant de joye luy fortifia son opinion le plus qu’il luy fut possible, luy disant que, puis qu’il ne pouvoit plus avoir d’elle au monde autre chose que la parole, il se tenoit bien heureux d’estre en lieu où il auroit tousjours moyen de la recevoir, & qu’elle seroit telle que l’un & l’aultre n’en pourroit que miculx valoir, vivans en un estat d’un amour, d’un cueur & d’un esprit tirez de la bonté de Dieu, lequel il supplioit les tenir en sa main en laquelle nul ne peut périr. Et, en ce disant & plorant d’amour & de joye, luy baisa les mains, mais elle abbaissa son visaige jusques à la main, & se donnèrent par vraye charité le sainct baiser de dilection.

Et en ce contentement se partit Pauline, & entra en la Religion de Saincte-Claire, où elle fut reçeue & voilée, ce que après elle feit entendre à Madame la Marquise, qui en fut tant esbahie qu’elle ne le pouvoit croire, mais s’en alla le lendemain au monastère pour la veoir & s’efforcer de la divertir de son propos. À quoy Pauline luy feit response que, si elle avoit eu puissance de luy oster ung mary de chair, l’homme du monde qu’elle avoit le plus aymé, elle s’en debvoit contenter, sans chercher de la vouloir séparer de celuy qui estoit immortel & invisible, car il n’estoit pas en