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IIJe JOURNÉE

Royne y meist, il n’estoit sepmaine qu’elle n’eust deux fois de ses nouvelles.

Et, quand le moyen des Religieux dont il s’aidoit fut failly, il luy envoyoit ung petit Paige habillé de couleurs, puis de l’un, puis de l’autre, qui s’arrestoit aux portes où toutes les Dames passoient & là bailloit ses lettres secrètement par my la presse. Ung jour, ainsy que la Royne alloit aux champs, quelqu’un, qui recongneut le Paige & qui avoit la charge de prendre garde à ceste affaire, courut après ; mais le Paige, qui estoit fin, se doubtant que l’on le cherchoit, entra en la maison d’une pauvre femme qui faisoit sa potée auprès du feu, où il brusla incontinent ses lettres. Le Gentil homme qui le suivoit le despouilla tout nud & chercha par tout son habillement, mais il n’y trouva rien, parquoy le laissa aller. Et, quant il fut party, la vieille luy demanda pourquoy il avoit ainsi cherché ce jeune enfant ? Il luy dist : « Pour trouver quelques lectres que je pensois qu’il portast. — Vous n’aviez garde de les trouver, » dist la vieille, « car il les avoit bien cachées. — Je vous prie, » dist le Gentil homme, « dictes moy en quel endroit c’est, » espérant bientost les recouvrer. Mais, quand il entendit que c’estoit dedans le feu, congneut bien que le Paige avoit esté plus fin que luy, ce que incontinant alla compter à la Royne.