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IIJe JOURNÉE

tier que de desplaisir de la veoir faillir, luy respondit d’un visaige aussi joyeulx & asseuré que la Royne monstroit le sien troublé & courroucé :

« Madame, si vous ne congnoissiez vostre cueur tel qu’il est, je vous mectrois, au devant de la mauvaise volunté que de long temps vous avez portée à Monsieur mon père & à moy, mais vous le sçavez, que vous ne trouverez poinct estrange si tout le monde s’en doubte, & quant est de moy, Madame, je m’en suis apperçeue à mon plus grand dommaige. Car, quand il vous eust pleu me favoriser comme celles qui ne vous sont si proches que moy, je feusse maintenant mariée autant à vostre honneur qu’au mien ; mais vous m’avez laissée comme une personne du tout oubliée en vostre bonne grâce, en sorte que tous les bons partis que j’eusse sçeu avoir me sont passez devant les œilz par la négligence de Monsieur mon père & par le peu d’estime que vous avez faict de moy, dont j’estois tumbée en tel desespoir que, si ma santé eust peu porter l’estat de Religion, je l’eusse voluntiers prins pour ne veoir les ennuictz continuelz que vostre rigueur me donnoit.

« En ce désespoir m’est venu trouver celluy qui seroit d’aussi bonne Maison que moy si l’amour de deux personnes estoyt autant estimé que l’anneau, car vous sçavez que son père passeroit de-