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IIJe JOURNÉE

cueur seul estoit l’amour entier qui autresfois avoit esté départy en deux, elle délibéra de le soustenir jusques à la mort de l’un ou de l’autre. Par quoy la bonté Divine, qui est parfaicte charité & vraye amour, eut pitié de sa douleur & regarda sa patience, en sorte que après peu de jours le bastard mourut à la poursuicte d’une autre femme. Dont elle, bien advertie de ceulx qui l’avoient veu mectre en terre, envoya supplier son père qu’il luy pleust qu’elle parlast à luy.

Le père s’y en alla incontinent, qui jamais depuis sa prison n’avoit parlé à elle, &, après avoir bien au long entendu ses justes raisons, en lieu de la reprendre & tuer comme souvent il la menassoit par parolles, la print entre ses bras & en plorant très fort luy dist :

« Ma fille, vous estes plus juste que moy, car, s’il y a eu faulte en vostre affaire, j’en suis la principale cause ; mais, puis que Dieu l’a ainsy ordonné, je veulx satisfaire au passé. »

Et, après l’avoir admenée en sa maison, il la traictoit comme sa fille aisnée. Elle fut demandée en mariage par ung Gentil homme du nom & armes de leur Maison, qui estoit fort saige & vertueux & estimoit tant Rolandine, laquelle il fréquentoit souvent, qu’il luy donnoit louange de ce dont les autres la blasmoient, congnoissant que sa fin n’avoit esté que pour la vertu. Le mariaige fut