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IIJe JOURNÉE

La Royne, ou pour se monstrer autre qu’elle n’estoit, ou pour expérimenter à la longue l’amour qu’il luy portoit, ou pour en aimer quelque autre qu’elle ne vouloit laisser pour luy, ou bien le réservant, quand celuy qu’elle aimoit feroit quelque faulte, pour luy bailler sa place, dist d’un visage ne courroucé ne content :

« Elisor, je ne vous diray poinct, comme ignorant l’auctorité d’Amour, quelle follie vous a esmeu de prendre une si haulte & difficile opinion que de m’aimer, car je sçay que le cueur de l’homme est si peu à son commandement qu’il ne le faict pas aimer & haïr où il veult ; mais, pource que vous avez si bien couvert vostre opinion, je desire sçavoir combien il y a que vous l’avez prinse. »

Elisor, regardant son visaige tant beau & voyant qu’elle s’enquéroit de sa malladie, espéra qu’elle luy vouloit donner quelque remède. Mais, voyant sa contenance si grave & si sage qui l’interrogeoit, d’autre part tumboit en une craincte, pensant estre devant le juge dont il doubtoit sentence estre contre luy donnée. Si est ce qu’il luy jura que ceste amour avoit prins racine en son cueur dès le temps de sa grande jeunesse, mais qu’il n’en avoit senty nulle peine sinon depuis sept ans ; non peine, à dire vray, mais une malladie donnant tel contantement que la guarison estoit la mort.