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XXIIIJe NOUVELLE

Que je n’ay eu desir de ce retour,
Fors seulement pour vous dire en ce lieu
Non ung bonjour, mais ung parfaict adieu.
Le temps m’a faict veoir amour pauvre & nu
Tout tel qu’il est & d’ont il est venu,
Et par le temps j’ay le temps regretté
Autant ou plus que l’avois soubhaicté,
Conduict d’amour qui aveugloit mes sens,
Dont rien de luy, fors regret, je ne sens.
Mais en voyant cest amour decepvable,
Le temps m’a faict veoir l’amour veritable,
Que j’ay congneu en ce lieu solitaire,
Où par sept ans m’a fallu plaindre & taire.
J’ay par le temps congneu l’amour d’en hault,
Lequel estant congneu, l’autre deffault ;
Par le temps suys du tout à luy rendu,
Et par le temps de l’autre desfendu.
Mon cueur & corps luy donne en sacrifice
Pour faire à luy & non à vous service.
En vous servant rien m’avez estimé,
Et j’ay le rien, en offensant, aimé.
Mort me donnez pour vous avoir servie ;
En le fuyant il me donne la vie.
Or par ce temps amour plein de bonté
À l’autre amour si vaincu & dompté
Que mis à rien est retourné à vent,
Qui fut pour moy trop doulx & decepvant.
Je le vous quicte & rends du tout entier,
N’ayant de vous ne de luy nul mestier,
Car l’autre amour parfaicte & pardurable
Me joinct à luy d’un lien immuable.
À luy m’en vois ; là me veulx asservir,
Sans plus ne vous, ne vostre Dieu servir.
Je prends congé de cruaulté, de peine
Et du torment, du desdaing, de la haine,