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IIJe JOURNÉE

povoyt bien descongnoistre ; mais le fol amour qu’il avoyt à ceste femme luy rendyt tellement les sens hébétez qu’il présumoit de sa force ce qui eust défailly en celle d’Herculès, dont à la fin, contrainct de maladye & conseillé par la Dame qui ne l’aymoit tant malade que sain, demanda congé à son Maistre de se retirer chez ses parens, qui le luy donna à grand regret, luy faisant promètre que, quant il seroyt sain, il retourneroyt en son service.

Ainsy s’en alla le Seigneur d’Avannes à beau pied, car il n’avoit à traverser que la longueur d’une rue &, arrivé en la maison du riche homme son bon père, n’y trouva que sa femme, de laquelle l’amour vertueuse qu’elle luy portoyt n’estoyt poinct diminuée pour son voyage. Mais, quant elle le veit si maigre & descoloré, ne se peut tenir de luy dire :

« Je ne sçay, Monseigneur, comme il vat de vostre conscience, mais vostre corps n’a poinct amendé de ce pellerinaige, & me doubte fort que le chemyn que vous avez faict la nuict vous ayt plus faict de mal que celluy du jour, car, si vous fussiez allé en Jherusalem à pied, vous en fussiez venu plus haslé, mais non pas si maigre & foyble. Or comptez ceste cy pour une, & ne servez plus telles ymaiges, qui en lieu de resusciter les mortz font mourir les vivans. Je vous en dirois davan-