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IIJe JOURNÉE

tant vestue, vint à luy au chevet du lict & luy dist :

« Monseigneur, avez vous pensé que les occasions puissent muer ung chaste cueur ? Croiez que, ainsy que l’or s’esprouve en la fournaise, aussy ung cueur chaste au meillieu des tentations s’y trouve plus fort & vertueux, & se refroidyt tant plus il est assailly de son contraire. Parquoy soïez seur que, si j’avoys aultre volunté que celle que je vous ay dicte, je n’eusse failly à trouver des moyens, desquelz ne voulant user je ne tiens compte, vous priant que, si vous voulez que je continue l’affection que je vous porte, ostez, non seullement la volunté, mais la pensée de jamais, pour chose que sçussiez faire, me treuver aultre que je suis. »

Durant ces parolles, arrivèrent ses femmes & elle commanda qu’on apportast la collation de toutes sortes de confitures, mais il n’avoyt pour l’heure ne fain ne soif, tant estoyt désespéré d’avoir failly à son entreprinse, craingnant que la démonstration qu’il avoyt faicte de son desir luy feyt perdre la privaulté qu’il avoyt envers elle.

Le mary, aiant donné ordre au feu, retourna & pria tant Monseigneur d’Avannes qu’il demorast pour ceste nuict en sa maison. Et fut la dicte nuyct passée en telle sorte que ses œilz furent plus exercez à pleurer que à dormir, & bien matin leur alla dire adieu dedans le lict, où, en baisant la dame,