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IIJe JOURNÉE

comme moy la trouveroyt encores meilleure, car je n’ay poinct veu ung plus beau Gentil homme ne de meilleure grâce que le dict Seigneur d’Avannes.

— Pensez, » ce dist Saffredent, « que voylà une saige femme qui, pour se monstrer plus vertueuse par dehors qu’elle n’estoit au cueur & pour dissimuler ung amour que la rayson de nature voulloyt qu’elle portast à ung si honneste seigneur, s’alla laisser morir par faulte de se donner le plaisir qu’elle desiroit couvertement.

— Si elle eust eu ce desir, » dist Parlamente, « elle avoit assez de lieu & occasion pour luy monstrer, mais sa vertu fut si grande que jamais son desir ne passa sa raison.

— Vous me le paindrez, » dist Hircan, « comme il vous plaira ; mais je sçay bien que tousjours ung pire Diable met l’autre dehors, & que l’orgueil cherche plus la volupté entre les Dames que ne faict la craincte ne l’amour de Dieu ; aussi que leurs robbes sont si longues & si bien tissues de dissimulation que l’on ne peult congnoistre ce qui est dessoubz, car, si leur honneur n’en estoyt non plus taché que le nôtre, vous trouveriez que Nature n’a rien oblyé en elles non plus que en nous &, pour la contraincte que elles se font de n’oser prendre le plaisir qu’elles desirent, ont changé ce vice en ung plus grand qu’elles tiennent plus honneste. C’est une gloire & cruaulté par qui elles espèrent acquérir nom d’immortalité &, ainsi se gloriffians de résister au vice de la loy de Nature, si Nature est vicieuse, se font, non seullement semblables aux bestes inhumaines & cruelles, mais aux Diables, desquels elles prènent l’orgueil & la malice.