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IIJe JOURNÉE

venue pour la femme de son frère, qui, une nuyct, sans la congnoistre, reçeut son enffant, & se trouva une belle fille. Le Gentil homme la bailla à une norrisse & la feyt nourrir soubz le nom d’estre sienne.

La Dame, ayant là demeuré ung mois, s’en alla toute saine en sa maison, où elle vesquit plus austèrement que jamais, en jeûnes & disciplines. Mais, quant son filz vint à estre grand, voyant que pour l’heure n’y avoyt guerre en Italye, envoia suplier sa mère luy permectre de retourner en sa maison. Elle, craingnant de retomber en tel mal dont elle venoyt, ne le voulut permectre, sinon qu’en la fin il la pressa si fort qu’elle n’avoyt aucune raison de luy refuser son congé ; mais elle luy manda qu’il n’eust jamais à se trouver devant elle s’il n’estoyt marié à quelque femme qu’il aymast bien fort, & qu’il ne regardast poinct aux biens, mais qu’elle fust Gentille femme, c’estoit assez.

Durant ce temps, son frère bastard, voiant la fille qu’il avoyt en charge devenue grande & belle en parfection, pensa de la mectre en quelque maison bien loing où elle seroyt incongneue, & par le conseil de la mère la donna à la Royne de Navarre nommée Catherine. Ceste fille vint à croistre jusques à l’aage de douze à treize ans, & fut si belle & honneste que la Royne de Navarre luy portoit grande amityé & desiroit fort de la ma-