Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome II.djvu/314

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
300
IIIJe JOURNÉE

— En bonne foy, Geburon, » dist Oisille, « voilà ung amour qui se debvoit nommer cruaulté.

— Je m’esbahys, » dist Simontault, « comment il eut la patience, la voyant en chemise & ou lieu où il en povoyt estre maistre, qu’il ne la print par force.

— Il n’estoyt friant, » dist Saffredent, « mais il estoyt gourmant, car, pour l’envye qu’il avoyt de s’en souller tous les jours, il ne se voulloyt poinct amuser d’en taster.

— Ce n’est poinct cela, » dist Parlamente, « mais entendez que tout homme furieux est tousjours paoureux, & la craincte qu’il avoyt d’estre surprins & qu’on luy ostast sa proye, luy feisoit emporter son aigneau comme ung loup sa brebis, pour la menger à son aise.

— Toutesfois, » dist Dagoucin, « je ne sçaurois croyre qu’il ne luy portast amour, & aussi que en ung cueur si villain que le sien ce vertueux Dieu n’y eust sçeu habiter.

— Quoy que soyt, » dist Oisille, « il en fut bien pugny. Je prie à Dieu que de pareilles entreprinses puissent saillir telles pugnitions. Mais à qui donnerez-vous vostre voix ?

— À vous, Madame, » dist Geburon ; « vous ne fauldrez de nous en dire quelque bonne.

— Puisque je suys en mon ranc, » dist Oisille, « je vous en racompteray une bonne pour ce qu’elle est advenue de mon temps & que celluy mesmes qui l’a veue la m’a comptée. Je suis seure que vous ne ignorez poinct que la fin de tous noz malheurs est la mort, mays, mectant fin à nostre malheur, elle se peult nommer nostre félicité & seur repos. Le malheur