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XXXVe NOUVELLE

flamme, ainsy elle fut prompte à enflamber & sentyt plus tost le contentement de sa passion qu’elle ne congneut estre pationnée, &, comme toute surprinse de son ennemy amour, ne résista plus à nul de ses commandemens. Mais le plus fort estoyt que le médecin de ses doulleurs estoyt ignorant de son mal, par quoy, ayant mis dehors toute la craincte qu’elle debvoyt avoir de monstrer sa folye devant ung si saige homme, son vice & sa meschanceté à ung si vertueux & homme de bien, se meit à lui escripre l’amour qu’elle luy portoit le plus doulcement qu’elle peut pour le commencement, & bailla ses lectres à ung petit Paige, luy disant ce qu’il y avoyt à faire & que surtout il se gardast que son mary ne le veit aller aux Cordeliers.

Le Paige, serchant son plus direct chemyn, passa par la rue où son Maistre estoyt assis en une boutique. Le Gentil homme, le voyant passer, s’advancea pour regarder où il alloyt, &, quant le Paige l’apperçeut, tout estonné se cacha dans une maison. Le Maistre, voiant ceste contenance, le suivyt &, en le prenant par le bras, luy demanda où il alloyt &, voiant ses excuses sans propos & son visaige effroyé, le menassa de le bien battre s’il ne luy disoyt où il alloyt. Le pauvre Paige luy dist : « Hélas, Monsieur, si je le vous dis, Madame me tuera. » Le Gentil homme, doubtant que sa