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XIJe NOUVELLE

Vous pouvez penser quel deuil menèrent ces pauvres serviteurs, qui apportèrent le corps en son palais, où arriva l’Evesque, qui leur compta comme le Gentil homme estoit party la nuict en diligence soubz couleur d’aller veoir son frère, par quoy fut congneu clairement que c’estoit luy qui avoit faict ce meurdre. Et fut aussi prouvé que sa pauvre seur jamais n’en avoit oy parler, laquelle, combien qu’elle fust estonnée du cas advenu, si est ce qu’elle en aima davantaige son frère, qui n’avoit poinct espargné le hazard de sa vie pour la délivrer d’un si cruel Prince ennemy, & continua de plus en plus sa vie honneste en ses vertuz, tellement que, combien qu’elle fust pauvre pour ce que leur maison fut confisquée, si trouvèrent sa seur & elle des mariz autant honnestes hommes & riches qu’il y en eust poinct en Italie, & ont tousjours depuis vescu en grande & bonne réputation.


« Voylà, mes Dames, qui vous doibt bien faire craindre ce petit Dieu, qui prend plaisir à tormenter autant les Princes que les pauvres, & les fortz que les foibles, & qui les aveuglit jusques là d’oublier Dieu & leur conscience, & à la fin leur propre vie, & doibvent bien craindre les Princes, & ceulx qui sont en auctorité, de faire desplaisir à moindre que eulx, car il n’y a nul qui ne puisse nuyre quand Dieu se veult venger du pécheur, ne si grand qui sçeust mal faire à celuy qui est en sa garde. »