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IJe JOURNÉE

Ceste histoire fut bien estimée de toute la compaignie, mais elle y engendra diverses opinions, car les ungs soustenoient que le Gentil homme avoit faict son debvoir de saulver sa vie & l’honneur de sa seur, ensemble d’avoir delivré sa patrie d’un tel tyran ; les austres disoient que non, mais que c’estoit une trop grande ingratitude de mettre à mort celuy qui luy avoit faict tant de bien & d’honneur. Les Dames disoient qu’il estoit bon frère & vertueux citoyen, les hommes au contraire qu’il estoit traistre & meschant serviteur, & faisoit bon oyr les raisons alleguées des deux costez, mais les Dames, selon leur coustume, parloient autant par passion que par raison, disans que le Duc estoit si digne de mort que bien heureux estoit celuy qui avoit faict le coup.

Parquoy, voyant Dagoucin le grand débat qu’il avoit émeu, leur dist : « Pour Dieu, mes Dames, ne prenez point querelle d’une chose desjà passée, mais gardez que vos beaultez ne facent point faire de plus cruels meurtres que celuy que j’ay compté. »

Parlamente luy dist : « La belle Dame sans mercy nous a appris à dire que si gracieuse maladie ne met guères de gens à mort.

— Pleust à Dieu, ma Dame, » ce luy dist Dagoucin, « que toutes celles qui sont en ceste compaignie sçeussent combien ceste opinion est faulse, & je croy qu’elles ne vouldroient point avoir le nom d’estre sans mercy, ne ressembler à ceste incrédule qui laissa mourir un bon serviteur par faulte d’une gracieuse response.

— Vous vouldriez donc, » dist Parlamente, « pour saulver la vie d’un qui dict nous aimer que nous mis-