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XIIJe NOUVELLE

avoit oublié sa conscience & avoit espousé une femme trop proche son alliée, pource qu’elle estoit riche, combien qu’elle fust laide & vieille & qu’il ne l’aimast poinct, &, après avoir tiré tout son argent, s’en estoit allé sur la marine chercher ses advantures & avoit tant faict par son labeur qu’il estoit venu en estat honorable ; mais depuis qu’il avoit eu congnoissance d’elle, elle estoit cause, par ses sainctes paroles & bon exemple, de luy avoir faict changer sa vie, & que du tout se délibéroit, s’il pouvoit retourner de son entreprinse, de mener son mary & elle en Jérusalem pour satisfaire en partie à ses grands pechez, où il avoit mis fin, sinon qu’encores n’avoit satisfaict à sa femme, à laquelle il espéroit bientost se reconcilier.

Tous ces propos pleurent à ceste Dame, & surtout se resjouit d’avoir tiré un tel homme à l’amour & craincte de Dieu. Et, jusques ad ce qu’il partist de la Court, continuèrent tous les soirs ces longs parlemens, sans que jamais il osast déclairer son intention. Et luy feit présent de quelque crucifix de Nostre-Dame-de-pitié, la priant qu’en le voyant elle eust tous les jours mémoire de luy.

L’heure de son partement vint &, quand il eut prins congé du mary, lequel s’endormit, il vint dire adieu à sa Dame, à laquelle il veid les larmes aux œilz pour l’honneste amitié qu’elle luy por-