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IJe JOURNÉE

Qu’avecques tant d’affection as prinse.
Je vivray doncq, & lors t’y mèneray
Et en brief temps à toy retourneray.
La mort pour moy est bonne, à mon advis,
Mais seulement pour toy seule je vis.
Pour vivre donc il me fault alléger
Mon pauvre cueur & du faiz soulager,
Qui est à luy & à moy importable,
De te monstrer mon amour véritable,
Qui est si grande & si bonne & si forte
Qu’il n’y en eut oncques de telle sorte.
Que diras tu, o parler trop hardy ?
Que diras tu ? Je te laisse aller ; dy,
Pourras tu bien luy donner congnoissance
De mon amour ? Las, tu n’as la puissance
D’on démonstrer la milliesme part.
Diras tu poinct au moins que son regard
A retiré mon cueur de telle force
Que mon corps n’est plus qu’une morte escorce
Si par le sien je n’ay vie & vigueur ?
Las, mon parler foible & plein de langueur,
Tu n’as pouvoir de bien au vray luy peindre
Comment son œil peut un bon cueur contraindre ;
Encores moins à louer sa parole
Ta puissance est pauvre, debile & molle.
Si tu pouvois au moins luy dire ung mot,
Que bien souvent comme muet & sot
Sa bonne grace & vertu me rendoit,
Et à mon œil qui tant la regardoit
Faisoit jetter par grand amour les larmes,
Et à ma bouche aussi changer ses termes ;
Voire &, en lieu dire que je l’aimois,
Je luy parlois des signes & des mois
Et de l’estoille Arcticque & Antarticque.
Ô, mon parler, tu n’as pas la practique