Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome II.djvu/58

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
44
IJe JOURNÉE

retira vers ses navires &, en demandant y estre reçeu, combien qu’il fust seul eschappé des quatre vingts, fut refusé par le traistre compaignon. Mais luy, qui sçavoit fort bien nager, se jetta dedans la mer & feit tant qu’il fut reçeu en ung petit vaisseau, & au bout de quelque temps guéry de ses playes. Et par ce pauvre estranger fut la vérité congneue entièrement, à l’honneur du Capitaine & à la honte de son compaignon, duquel le Roy & tous les gens de bien qui oyrent le bruict jugèrent la meschanceté si grande envers Dieu & les hommes qu’il n’y avoit mort dont il ne fût digne. Mais à sa venue donna tant de choses faulses à entendre, avecq force présens, que non seulement se saulva de pugnition, mais eut la charge de celuy qu’il n’estoit digne de servir de varlet.

Quand ceste piteuse nouvelle vint à la Court, Madame la Régente, qui l’estimoit fort, le regretta merveilleusement. Aussi feit le Roy & tous les gens de bien qui le congnoissoient, & celle qu’il aymoit le mieulx, oyant une si estrange, piteuse & chrestienne mort, changea la dureté du propos qu’elle avoit délibéré luy tenir en larmes & lamentations, à quoy son mary luy tint compaignie, se voyans frustrez de l’espoir de leur voyage.

Je ne veulx oblier que une Damoiselle, qui estoit à ceste Dame, laquelle aimoit ce Gentil homme