Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome II.djvu/67

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
54
XIIIJe NOUVELLE

Le dict de Bonnivet luy respondit : « Va, mon amy, Dieu te conduise ; je le prie qu’il te garde d’inconvénient. Si ma compaignie y sert de quelque chose, je n’espargneray rien qui soit en ma puissance. »

Le Gentil homme le mercia bien fort, & luy dist qu’en ceste affaire il ne pouvoit estre trop seul, & s’en alla pour y donner ordre.

Le Seigneur de Bonnivet ne dormit pas de son costé, &, voyant qu’il estoit heure de se venger de sa cruelle Dame, se retira de bonne heure en son logis, & se feit coupper la barbe de la longueur & largeur que l’avoit le Gentil homme ; aussi se feit coupper les cheveux à fin qu’à le toucher on ne peust congnoistre leur différence. Il n’oblia pas les escarpins de feutre & le demorant des habillemens semblables au gentil homme.

Et, pource qu’il estoit fort aimé du beau père de ceste femme, ne craignit d’y aller de bonne heure, pensant que, s’il estoit apperçeu, il iroit tout droict à la chambre du bon homme, avec lequel il avoit quelque affaire.

Et sur l’heure de minuict entra en la maison de ceste Dame, où il trouva assez d’allans & de venans, mais parmy eulx passa sans estre congneu & arriva en la gallerie. Et, touchant les deux premières portes, les trouva fermées & la troisiesme non, laquelle doucement il poussa. Et, entré qu’il