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XIIIJe NOUVELLE

avecques une bien grosse fiebvre, le pouls fort esmeu, le visaige en feu & la sueur qui commençoit à luy prendre, de sorte qu’elle le pria s’en retourner incontinent, car, de paour d’inconvenient, n’avoit osé appeller ses femmes, dont elle estoit si mal qu’elle avoit plus besoin de penser à la mort qu’à l’amour & d’oyr parler de Dieu que de Cupido, estant marrie du hazard où il s’estoit mis pour elle, veu qu’elle n’avoit puissance en ce monde de luy rendre ce qu’elle espéroit faire en l’autre bientost. Dont il fut si estonné & marry que son feu & sa joye s’estoient convertis en glace & en tristesse, & s’en estoit incontinent departy. Et au matin au poinct du jour, avoit envoyé sçavoir de ses nouvelles & que pour vray elle estoit très mal, &, en racomptant ses douleurs, ploroit si très fort qu’il sembloit que l’ame s’en deust aller par ses larmes.

Bonnivet, qui avoit tant envie de rire que l’autre de plorer, le consola le mieux qu’il luy fut possible, luy disant que les amours de longue durée ont tousjours un commencement difficile, & qu’Amour lui faisoit ce retardement pour luy faire trouver la joissance meilleure, & en ces propos se départirent.

La Dame garda quelques jours le lict &, en recouvrant sa santé, donna congié à son premier serviteur, le fondant sur la craincte qu’elle avoit