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XVe NOUVELLE

gardée d’avoir faict chose dont j’aye besoing de confession ne de honte. Je ne vous veulx poinct nyer que, le plus souvent qu’il m’estoit possible, je n’allasse parler à luy dans une garderobbe, faingnant d’aller dire mes oraisons, car jamais en femme ne en homme je ne me fiay de conduire ceste affaire. Je ne veulx poinct aussi nyer que, estant en ung lieu si privé & hors de tout soupson, je ne l’aye baisé de meilleur cueur que je ne faictz vous. Mais je ne demande jamais mercy à Dieu si entre nous deux il y a jamais eu aultre privaulté plus avant, ne si jamais il m’en a pressée, ne si mon cueur en a eu le desir, car j’estois si aise de le veoir qu’il ne me sembloit poinct qu’il y eust au monde ung aultre plaisir. Et vous, Monsieur, qui estes seul la cause de mon malheur, vouldriez vous prendre vengeance d’un œuvre dont si long temps a vous m’avez donné exemple, sinon que la vostre estoit sans honneur & conscience ? Car vous le sçavez & je sçay bien que celle que vous aymez ne se contente poinct de ce que Dieu & la raison commandent. Et, combien que la loy des hommes donne si grand deshonneur aux femmes qui ayment autres que leurs maris, si est ce que la loy de Dieu n’exempte point les mariz qui ayment autres que leurs femmes. Et, s’il fault mettre à la balance l’offense de vous & de moy, vous estes homme saige & expérimenté & d’aage pour congnoistre & éviter