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IJe JOURNÉE

le mal, moy jeune & sans expérience nulle de la force & puissance d’amour. Vous avez une femme qui vous cherche, estime & ayme plus que sa vie propre, & j’ay un mary qui me fuit, qui me hait & me desprise plus que chamberière. Vous aymez une femme desjà d’aage & en mauvais poinct & moins belle que moy, & j’ayme ung Gentil homme plus jeune que vous, plus beau que vous & plus aymable que vous. Vous aymez la femme d’un des plus grands amis que vous ayez en ce monde & l’amye de vostre maistre, offensant d’un costé l’amitié & de l’autre la révérence que vous devez à tous deux, & j’aime un Gentil homme qui n’est à rien lié sinon à l’amour qu’il me porte. Or jugez sans faveur lequel de nous deux est le plus punissable ou excusable, ou vous estimé homme saige & expérimenté, qui, sans occasion donnée de mon costé, avez non seulement à moy, mais au Roy auquel vous estes tant obligé, faict un si meschant tour, ou moy, jeune & ignorante, desprisée & contemnée de vous, aymée du plus beau & honneste Gentil homme de France, lequel j’ay aymé par le desespoir de ne pouvoir jamais estre aymée de vous. »

Le mary, oyant ces propos pleins de verité, dicts d’un si beau visaige, avec une grace tant asseurée & audacieuse qu’elle monstroit ne craindre ne mériter nulle pugnition, se trouvant tant surprins d’es-