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IJe JOURNÉE

le Gentil homme & assembla un grand nombre de ses parens & amis pour le faire tuer, s’ils le pouvoient trouver en quelque lieu, mais le principal de ses parens estoit si grand amy du Gentil homme, qu’il faisoit chercher, qu’en lieu de le surprendre l’advertissoit de tout ce qu’il faisoit contre luy, lequel d’aultre costé, estoit tant aymé en toute la Court & si bien accompaigné qu’il ne craingnoit poinct la puissance de son ennemy, par quoy il ne fut poinct trouvé.

Mais il s’en vint en une église trouver la Maistresse de celle qu’il aymoit, laquelle n’avoit jamais rien entendu de tous les propos passez, car devant elle n’avoient encores parlé ensemble. Le Gentil homme luy compta le soupson & mauvaise volunté qu’avoit contre luy le mary & que, nonobstant qu’il en fust innocent, il estoit délibéré de s’en aller en quelque voyage loing pour oster le bruict qui commençoit fort à croistre. Ceste Princesse, Maistresse de s’amie, fut fort estonnée d’ouyr ces propos & jura bien que le mary avoit grand tort d’avoir soupson d’une si femme de bien où jamais elle n’avoit congneu que toute vertu & honnesteté. Toutesfois, pour l’auctorité où le mary estoit & pour esteindre ce fascheux bruict, luy conseilla la Princesse de s’esloingner pour quelque temps, l’asseurant qu’elle ne croioit rien de toutes ces follies & soupsons.