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Ve JOURNÉE

— Mais assavoir mon, » dist Nomerfide, « si elle fit bien de scandaliser ainsy son prochain & s’il eut pas myeulx vallu qu’elle luy eust remonstré ses faultes doulcement que de divulguer ainsy son prochain.

— Je croy, » dist Geburon, « que ce eust esté bien faict, car il est commandé de corriger nostre prochain entre nous & luy avant que le dire à personne ny à l’église. Aussy, depuis que ung homme est eshonté, à grand peyne jamais se peult il amender parce que la honte retire autant de gens de péché que la conscience.

— Je croy, » dist Parlamente, « que envers chacun se doibt user le conseil de l’Evangille sinon envers ceulx qui la preschent & font le contraire, car il ne fault poinct craindre à scandalizer ceulx qui scandalizent tout le monde, & me semble que c’est grand mérite de les faire congnoistre telz qu’ilz sont, afin que nous ne prenons pas ung doublet pour ung bon rubis. Mais à qui donnera Saffredent sa voix ?

— Puisque vous le demandez, ce sera à vous mesmes », dist Saffredent, « à qui nul d’entendement ne la doibt refuser.

— Or, puisque vous me la donnez, je vous en voys compter une dont je puis servir de tesmoing, & j’ay toujours oy dire que, tant plus la vertu est en ung subject débille & foible assailly de son très fort & puissant contraire, c’est à l’heure qu’elle est plus louable & se monstre mieulx telle qu’elle est ; car, si le fort se défend du fort, ce n’est chose esmerveillable, mais, si le foible en a victoire, il en a gloire de tout le monde. Pour congnoistre les personnes dont je veulx parler, il me semble que je feroys tort à la