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Ve JOURNÉE

prendre. L’heure estoyt de cinq à six en yver, qui entièrement luy ostoit la veue de la belle. En touchant ses habillemens, trouva qu’ilz estoient de veloux, qui en ce temps là ne se portoit à tous les jours, sinon par les femmes de grande Maison & d’auctorité. En touchant ce qui estoit dessoubz, autant qu’il en povoyt prendre jugement par la main, ne trouva rien qui ne fust en très bon estat, nect & en bon poinct. Si mist peine de luy faire la meilleure chère qu’il luy fust possible. De son costé elle n’en feit moins, & congneut bien le Gentil homme qu’elle estoit mariée.

Elle s’en voulut retourner incontinant de là où elle estoyt venue ; mais le Gentil homme luy dist :

« J’estime beaucoup le bien que sans mérite vous m’avez donné, mais j’estimeray plus celluy que j’auray de vous à ma requeste. Je me tiens si satisfaict d’une telle grâce que je vous supplye me dire si je ne doibtz pas espérer encores ung bien semblable & en quelle sorte il vous plaira que j’en use, car, veu que je ne vous puys congnoistre, je ne sçay comment le pourchasser. — Ne vous soulciez, » dist la Dame, « mais asseurez vous que tous les soirs, avant le souper de ma Maistresse, je ne fauldray de vous envoïer quérir, mais que à l’heure vous soïez sur la terrace où vous estiez tantost. Je vous manderay seullement qu’il vous souvienne de ce que vous avez promis ; par cela