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PROFILS D’ANTICOSTIENS

mentanément la maison, pour venir à l’Anticosse, où l’on gagne gros, sans cesser d’être cultivateur. C’est son chagrin de n’être encore que garçon d’écurie ! Mais Tancrède lui a promis de le mettre sur une ferme aussitôt que possible, à Sainte-Claire, à Saint-Georges ou à Rentilly. Ses yeux flambent comme il nous fait part confidentiellement de cette espérance, et il est visible que ce sera pour lui le bonheur suprême.

— Voyez-vous, ajoute-t-il, ça fait $800.00 que j’envoie au père, et je vais rester un an encore.

— Et après, hasardai-je ?

— Après ? Je m’en irai par chez nous pour cultiver ! J’aime ça ben gros la culture ! Je prendrai une fille de la campagne qui connaisse l’ouvrage d’habitant. Le père se fait vieux, déjà ! Je ne veux pas qu’il ait de la misère sur ses vieux jours. Chez nous, les enfants, on s’est toujours dit qu’on aura soin de not’père comme il a eu soin du sien !

Nous arrivons à un angle de la route où il y a une croix et un ancien chemin plein d’herbe qui descend vers l’Anse-aux-Fraises. Nous nous découvrons, et pendant que le chemin de Sainte-Claire s’engage dans l’ombre ajourée des épinettes et des bouleaux, Jean continue de nous entretenir de ses projets. Ses yeux, perdus dans le vague de la route brillent au bonheur entrevu et rappelé,