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CROQUIS LAURENTIENS

à présent ne nous donne pas une beauté de lait comme l’ancienne ! Mangez-en, ça vous remettra l’estomac si vous avez été malade à la mer !

La canadienne du peuple n’a pas le mot : « abondant » dans son vocabulaire, elle aurait plutôt dit : « On n’en a pas gros ! » Par ailleurs une beauté de lait est une hardiesse d’expression qui peut déplaire aux augustes barbons qui ont perpétré le dictionnaire, mais pour sa plénitude et sa sonorité elle mériterait à coup sûr une place d’honneur à la lettre B. Et celle-ci donc :

— Il y a un fort aiguail ce matin ; le temps va beausir !

N’est-il pas dommage que nous ayons laissé tomber dans l’oubli, qui est le linceul des mots, ce bel aiguail de lignée infiniment plus pure que rosée qui l’a supplanté ! Aiguail ! Mot qui brille dans la phrase comme la goutte irisée au fin bout des brins d’herbe et sur les épis glauques des pâturins ! Mot qui réveille toute la gloire tombée de la vénerie, qui ressuscite le son du cor, au fond des bois !…

Le verbe beausir n’a probablement pas ses papiers, mais il est de frappe shakspearienne — et c’est bien quelque chose. Il découle sans doute de la loi du moindre effort qui opère dans la langue comme dans la nature ; et beausir n’aurait-il que le mérite de remplacer la périphrase