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LA MONTÉE DU CIMETIÈRE

Le pré lisérant la forêt toute proche, est, ce matin, d’un vert glauque, retouché du rose mat des grands trèfles… L’on dirait un ciel renversé dans l’eau d’un étang et peuplé de constellations de marguerites ! Çà et là, jaillissent en couronne les frondes plumeuses des fougères. Le pied dans l’eau, de petits saules agitent au souffle d’une brise perceptible pour eux seuls, leurs feuilles encore teintées de la pourpre vernale du bourgeon.

Au fond du champ, les petites pyramides sombres des sapins, étagements de noirs et de verts sourds, s’épandent en tirailleurs devant les épinettes effilées comme des clochers… Tels des arbres de Noël portant à chaque branche une petite chandelle de cire pâle, les jeunes pins ont des pousses nouvelles, et prolongent en vert gai, la tristesse immobile de leurs bras gommeux ; avec les palmes rigides des cèdres et la fine chenille des mélèzes, tout cela s’ajoute, se superpose sur un fond frissonnant de haute futaie claire, merveilleusement.

Pourquoi cet ensemble de hasard m’émeut-il tant ? Ce désordre est-il donc beauté ? Ou bien, n’est-ce pas plutôt l’âme fruste de lointains ancêtres qui remonte en moi ? Ils conduisirent la charrue ou guettèrent l’orignal le long de bois semblables, et c’est peut-être le colon ou le trappeur dont j’ai reçu le sang, qui frémit devant le spectacle congénial de la nature !…