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les forçats du mariage

ras que les joyeux compagnons d’autrefois ont trop mauvais genre. Il faut à un homme marié, non pas des amis, mais des relations honorables ; il lui faut des hommes sérieux, gravement posés dans leurs faux cols, au torse solennel, à la démarche mesurée, des hommes bien calés dans leur position, bien d’aplomb dans la vie ; mais des artistes, des bohèmes, qu’est-ce que c’est que ça ?

— Va, ne te gêne pas. Quand tu auras fini cette tartine, je te dirai ce qui m’amène.

— Je n’ai pas fini ; car voilà un mois que j’amasse de la colère contre toi. Tu t’es marié ! Tu auras des enfants ! Toi, une individualité puissante, toi un héros de roman, beau comme la lumière du soleil, passionné comme un demi-dieu, toi, enfin, un apôtre du plaisir ! Eh bien ! mon cher, te voilà obligé d’être moral à présent, moral, entends-tu ? d’aimer ta femme et tes enfants. Les enfants, la raison, le prétexte de toutes les lâchetés, de toutes les turpitudes ! L’amour excessif de la famille, quoi qu’en disent des moralistes cacochymes, est le vice dominant des sociétés inférieures, un véritable dissolvant social. Un homme refuse-t-il de se dévouer à la patrie ? mes enfants. Un homme avide d’honneurs convoite-t-il les grands emplois, vend-il sa conscience, abjure-t-il ses opinions ? mes enfants. Un homme demeure-t-il insensible à la prière du malheureux qui lui demande assistance ? mes enfants. S’agit-il seulement de quelque minime sa-