Page:Marius Grout - Le vent se lève.djvu/12

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
16
LE VENT SE LÈVE

puis dire. Je suis heureux. Comme on l’est tous. Thérèse est une brave femme. La maison est parfaitement tenue, et les enfants raccommodés, et nous mangeons à notre faim, ce qui n’est pas toujours facile : mon petit traitement de licencié ne permet pas une vie aisée, même avec les « charges de famille », je veux dire : les indemnités. Seulement, voilà, je croyais que Thérèse serait autre, qu’elle ne cesserait point de comprendre. Elle comprenait bien autrefois ! Et si je relisais, à présent, les lettres qu’elle m’écrivait alors, j’en aurais la confirmation. Mais je ne le désire pas du tout. J’aurais voulu que mes poèmes — car j’écris aussi des poèmes — elle pût les goûter avec moi, que nous puissions les partager, qu’elle consentît parfois à s’en laisser faire la lecture. Je n’ose même pas le lui demander. Qu’est-ce qui a pu se passer au juste ? Ai-je vu Thérèse comme elle était ? Lui aurais-je donc tellement prêté ? Pourquoi ne point vouloir relire ses lettres ? Craindrais-je de l’y voir telle qu’elle est ? Ou, comme je le crois, si cette Thérèse-là fut vivante, la Thérèse de nos fiançailles — mon Dieu, le parfum de ses lettres ! — n’est-ce point moi qui l’ai fait mourir ? Ce gain médiocre, ces cinq enfants, quelle femme donc résisterait à cela ? Et je ne l’ai peut-être pas toujours aidée comme il eût fallu. Je suis fragile, je l’ai déjà dit. Je n’ai pas fait mon service militaire. J’ai honte de l’avouer : le bois