Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 1.djvu/111

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JUGEMENT
SUR LA TRAGÉDIE D’ANNIBAL.


Nous ne ferons aucune observation sur l'avertissement qu’on vient de lire ; nous avons cru devoir le conserver, moins comme un jugement littéraire, d’après lequel on puisse fixer ses idées sur le mérite de la tragédie d'Annibal , et sur l’accueil qu’elle reçut du public , que comme une preuve de la facilité avec laquelle un auteur , même avec beaucoup d’esprit et de bonne foi, peut se faire illusion à lui-même, et se persuader contre l’évidence, non-seulement qu’il a mérité , mais même qu’il a obtenu un grand succès. La vérité est qu'Annibal, donné en 1720, ne fut joué que trois fois à Paris , et une seule fois à la cour. La reprise, qui eut lieu en 1747, c’est-à-dire quatre ans après la réception de Marivaux à l’Académie française, doit être attribuée à la juste déférence que montrait alors la Comédie pour le premier corps littéraire du royaume, et aux sollicitations de quelques-uns des confrères de Marivaux ; des personnages influens voulurent essayer de justifier dans l’opinion publique une élection appuyée, sans doute , sur des titres légitimes, mais contestés encore par des concurrens jaloux , ou par des juges sévères, que l’esprit, les grâces, le sentiment, l’observation et la peinture fidèle des mœurs, n’avaient pas encore tout-à-fait réconciliés avec quelques opinions hétérodoxes de Marivaux , et surtout avec les fautes qu’un goût délicat et rigoureux avait depuis long-temps signalées dans le style