Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 1.djvu/253

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profession avantageuse à sa fortune , mais fatale à l’existence de ses semblables ; le courtisan rougira au souvenir des bassesses , des mensonges , des perfidies que son ambition lui a suggérées ; le Gascon réprimera ses bravades et ses ridicules forfanteries ; le paysan n’ira plus dépenser au cabaret sa santé et les moyens d’existence de sa famille ; Ainsi corrigés , nos six Européens reprendront par degrés leur taille et leur figure ordinaire ; la comtesse obtiendra la main d’un fils du gouverneur ; le courtisan sera jugé digne d’épouser sa fille.

Resteront deux Européens , le poète et le philosophe ; ceux-là sont condamnés à rester petits éternellement : chez le premier la manie de la satire , chez le second l’orgueil et le mépris des autres hommes , sont des vices reconnus incorrigibles. Il faut croire que Marivaux , en plaçant ces deux classes d’hommes dans une position décourageante, cédait à quelque ressentiment personnel ; mais rien ne nous met sur la voie des noms propres. Le philosophe le plus marquant de l’époque où fut donnée l'ile de la Raison est Fontenelle , qui professait une grande estime pour le talent de Marivaux , et qui était lié avec lui d’une amitié tendre et sincère ; le poète pourrait, à la rigueur, être Voltaire , et cette circonstance , peu remarquée du public , mais qui ne dut point échapper à celui qui était provoqué , expliquerait l’espèce d’éloignement qu’il affecta long-temps pour la personne et pour les écrits de Marivaux.

Si nous supposons que les poètes et les philosophes sont compris d’une manière universelle dans l’arrêt d’impénitence finale dont les a frappés Marivaux , ce serait une singularité de plus ; car il aurait prononcé contre lui-même : l’auteur d’Annibal avait, sinon des droits, du moins des prétentions à la poésie , et la philosophie de-