Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 1.djvu/59

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Je vais mettre à vous fuir mon unique constance ;
Et si vous m’accablez d’un si cruel destin,
Vous ne jouirez pas du moins de mon chagrin.

PHILINE

Je ne vous retiens pas, devenez infidèle ;
Donnez-moi tous les noms d’ingrate et de cruelle ;
Je ne regrette point un amant tel que vous,
Puisque de ma vertu vous n’êtes point jaloux.

CLÉANDRE

Finissons là-dessus ; quand on est sans tendresse
On peut faire aisément des leçons de sagesse,
Philine, et quand un cœur chérit comme le mien…
Mais quoi ! Vous le vanter ne servirait de rien.
Je vous ai mille fois montré toute mon âme,
Et vous n’ignorez pas combien elle eut de flamme ;
Mon crime est d’avoir eu le cœur trop enflammé ;
Vous m’aimeriez encor, si j’avais moins aimé.
Mais, dussé-je, Philine, être accablé de haine,
Je sens que je ne puis renoncer à ma chaîne.
Adieu, Philine, adieu ; vous êtes sans pitié,
Et je n’exciterais que votre inimité.
Rien ne vous attendrit : quel cœur, qu’il est barbare !
Le mien dans les soupirs s’abandonne et s’égare.
Ha ! Qu’il m’eût été doux de conserver mes feux !
Plus content mille fois… Que je suis malheureux !
Adieu, chère Philine… (Il s’en va et il revient.) Avant que je vous quitte…
De quelques feints regrets du moins plaignez ma fuite.

PHILINE

, s’en allant aussi et soupirant.

Ah !